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Les ECHOS du CIREF
7 août 2015

LA PENSEE JURIDIQUE DE CHEIKH ANTA DIOP - DOCTEUR YVES KOUNOUGOUS - Paris (France) - Brazzaville (Congo)

 

   Qualifié  " d' africain ayant exercé sur le XX siècle l'influence la plus féconde " , Cheikh Anta Diop, et plus spécifiquement sa pensée juridique, s'est engagée, évertuée, à (re)valoriser, le Droit des sociétés non industrialisées, plus précisément, celles négro-africaines, et à l'extirper du champ, de l'emprise trop européocentrique de l'ethnologie et de l'anthropologie juridique, historiquement liés au développement de la   colonisation. L'essentiel de son combat, a été, de s'élever contre les méfaits de l'acculturation juridique, qui implique par voie de conséquence, une comparaison transculturelle, voire transsociétale, et fait apparaitre, en dernière instance, que " l'enfer, ce n'est pas les autres " ; considération qui fait émerger une nouvelle dimension ou : " Etudier l'image juridique d'autrui peut renseigner sur l'image juridique de soi. "

  Le phénomène de l'acculturation juridique est caractérisé par certains, comme hétérogénéité des cultures qui entrent en contact ; et domination de l'une sur l'autre,à ce titre, l'acculturation juridique serait le résultat d'une rencontre conflictuelle, le produit d'un produit où l'acculturé, atrophié culturellement, ne saurait évoquer sa cosmologie, que par le biais, de grilles de lecture occidentale. Ainsi pour Scheller " le processus d'acculturation est une dynamique qui se caractérise par une désaffection à l'égard des systèmes traditionnels d'éducation et des valeurs africaines de civilisation, et par une acculturation ,c'est à dire," l'imposition d'un système européen d'éducation et de valeurs européennes de civilisation " ; Chez Alliot  " l'acculturation juridique est un phénomène non pas seulement quantitatif mais qualitatif, non la seule subtitution d'un système à un autre, mais un changement de niveau de conscience juridique " Pour Carbonnier " Quand deux systèmes juridiques se rencontrent, ce n'est jamais impunément. Des effets vont en résulter, aussi bien sur les institutions que sur les individus, ainsi toute acculturation du droit se traduit, dans les institutions et dans les individus, par des phénomènes multiples de psychologie sociale, qui sont des phénomènes juridiques."

   Une idée fondamentale a hanté, et traversé, l'esprit de Cheikh Anta Diop, dans son combat contre l'acculturation juridique: LA NECESSITE DE REPENSER LE SYSTEME JURIDIQUE PAR LE BIAIS DES REALITES PROPREMENT AFRICAINES ET DE SA LOGIQUE SPECIFIQUE.

  Face à ce " phénomène de violence et de domination qui renverse la vision qu'une société a d'elle-même, qui bouleverse les croyances traditionnelles et, ainsi, toute la vie sociale d'une communauté, et qui rend impossible les divisions traditionnelles parce qu'elle nie les règles indispensables à leur perpétuation " l'on assiste, avec Cheikh Anta Diop : 1) A une dénonciation de la vision européocentrique du fétichisme juridique : " Dans la mesure ou l'Egypte est la mère lointaine de la science et de la culture occidentales, la plupart des idées que nous baptisons étrangères ne sont souvent que des images brouillées, renversées, modifiées, perfectionnées, des créations de nos ancêtres : judaisme, christianisme, islam, dialectique, théorie de l'être, sciences exactes, arithmétique, géométrie, mécanique, astronomie, médecine, littérature (roman, poésie, drame), architecture, arts... On mesure alors, combien est impropre, quant au fond, la notion, si souvent ressassée, d'importation d'idéologies étrangères en Afrique : elle découle d'une parfaite ignorance du passé africain. Autant la technologie et la science modernes viennent d'Europe, autant dans l'antiquité, le savoir universel coulait de la vallée du Nil vers le reste du monde et en particulier la Gréce qui servira de maillon intermédiaire. Par conséquent, aucune pensée, aucune idéologie , n'est par essence, étrangère à l'Afrique qui fut la terre de leur enfantement. C'est donc en toute liberté que les Africains doivent puiser dans l'héritage intellectuel commun de l'humanité, en ne se laissant guider que par les notions d'utilité, d'efficience. C'est aussi le lieu de dire qu'aucune pensée, et en particulier aucune philosophie ne peut se développer en dehors de son terrain historique." (1)  (1) Cheikh Anta Diop, civilisation ou barbarie, Présence Africaine, Paris, 1981, p.12-13. La vallee du Nil, depuis les grands Lacs, est le berceau primitif de tous les peuples noirs qui vivent aujourd`hui a l`etat disperse sur les differents points du continent. Cette notion de culture homogene, qui ne se ramene pas a l`assemblage de morceaux  epars, doit etre percue comme la manifestation spirituelle globale de la communaute negre dans sa totalite : la globalite des experiences, etatiques, artistiques, linguistiques, economiques, philosophiques... accumulees par les Noirs Africains dans leur totalite, a travers le temps, et ceci depuis leurs balbutiements dans L`Egypte protohistorique (2) (2) Cheikh Anta Diop, L` Afrique noire pre-coloniale, Paris, Presence Africaine, 1960, p.162

     Son systeme juridique ('' image d' un ensemble de normes '')  ou mieux, sa conception de l'ordre juridique  ('' soit la societe, la culture, le Volksgeist qui donnent naissance aux normes, soit les relations sociales et l'ensemble de l'ordre social qui resultent des normes juridiques '')  presente une fresque divergente du monde, dans ses representations du mythique, du religieux, du politique, du philosophique, du juridique  (ou le juridisme negro-africain repose, sur l'evocation des droits traditionnels, d'origine pre-coloniale,  '' non determines par l'Etat colonial ou post colonial quant aux modes de formation et de legitimation dont les modes de fonctionnement ont ete seulement alteres partiellement, a l'epoque contemporaine par les valeurs sociales, politiques et economiques associees a l'Etat moderne '') ou s' opposeraient les societes europeennes dans le berceau nordique, aux societes Negro-egyptienne dans celui meridional. Pour Cheikh Anta Diop : " L'histoire de l'humanite, sera confuse aussi longtemps que l'on ne distinguera pas deux berceaux primitifs ou la nature a faconne les instincts, le temperament, les habitudes et les conceptions morales des deux fractions de cette humanite avant qu'elles ne se soient rencontrees, apres une longue separation datant de la prehistoire." (3) (3) Cheikh Anta Diop, Nations Negres et Culture, Paris, Presence Africaine, 1954, p.94-95
 
 Sans meconnaitre les limites afferentes a son entreprise :
 
  a) Obstacle methodologique : Nul authentique chercheur, pas meme Cheikh Anta Diop, ne saurait se departir, meconnaitre les difficultes, inherentes a la scientificite des recherches (Validite de la science historique dans son fondement epistemologique; Interpretation philosophique de l'histoire, liee, aux a-priori politiques, psychologiques, philosophiques, etc... ; Probleme du sens de l'evolution de l'humanite, du devenir historique.)
 
   b) Valeur  " negative ''  du passe historique : La connaissance de ce passe africain, ne saurait etre regarde, comme  " un miroir aux alouettes "  a defaut de quoi : " Cette articulation de la pensee autour de valeurs reputees immuables est discutable. Il n'y a pas de valeur qui ne subisse l'erosion du temps. Toute pratique est historiquement datee et geographiquement localisee, en tant qu'elle constitue une tentative de reponse a un probleme qui a pu se poser a l'humanite.Vouloir figer l'evolution des societes au nom de la tradition participe beaucoup plus d'une entreprise de mystification que d'un desir profond de conserver des valeurs necessaires a la survie et a la cohesion du groupe. Ceux qui pensent qu'il faut tout conserver des valeurs ancestrales devraient, s'il etaient logiques, proceder a une regression a l'infini. Ce voyage dans le passe leur ferait certainement decouvrir que l'humanite a partage des valeurs communes, que ses differentes branches ont progressivement ete modifiees ou abandonnees, pour ne garder que les plus essentielles qui caracterisent aujourd'hui les societes humaines, quelle que soit la latitude ou vivent les unes et les autres." (4) (4) Benoit N'gom, les droits de l'homme et l'Afrique, Ed Silex, 1984, p. 63.
 

   IL faut ajouter a cela , une remarque non moins pertinente, du philosophe jean -charles Gomez Coovi  " aucune loi mathematique infaillible n'a encore demontre que c'est parce que le passe antique d'un peuple a ete brillant que son avenir doit, avec la fatalite d'une loi d'airain, l'etre egalement." (5) (5) Gomez jean-charles, Destin singulier et contradictoire a l'image de l'Afrique, in Jeune Afrique, n 1323, 14 mai 1986 

 Quelle(s) perspective(s) juridique(s) est-il alors possible de percevoir, tant pour le juriste occidental que celui africain ?

  Ni plus, ni moins que ce que declare le philosophe du droit Dominique Manai : " La problematique de l'acculturation juridique ouvre un champs immense pour la reflexion juridique. Elle amene le juriste a rompre avec cet evolutionnisme diffus, qui se situe dans les sillages d'un Levy-Bruhl, qui hierarchise les systemes juridiques en prenant bien entendu, le systeme juridique occidental comme parametre d'appreciation et comme critere d'evaluation. Elle amene le juriste a rompre avec cet europeocentrisme juridique diffus mais dominant qui ne relativise pas le systeme juridique occidental en lui conferant des caracteristiques d'universalite et en ne le presentant non comme un produit culturel, c'est-a dire specifique a un temps et a un espace, mais comme un phenomene naturel, devant s'imposer a l'humanite entiere. Elle amene enfin le juriste a faire eclater le cocon du juridisme securisant et a s'interroger sur le phenomene juridique en tant que dispositif de pouvoir, et ce, aussi bien a l'interieur de l'espace social d'ou il emerge - en Occident - qu'a l'exterieur, dans cet espace social ou il est adopte. " 

 

 

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