- Trois manières de résister au silence et à l'indifférence au sujet de l'examen du problème de l'esclavage, des deux Traites des Noirs et de la nécessaire réparation qui s'y attache.
Réfléchir sous le signe de la résistance, c'est inviter à recommencer radicalement à disserter sur ces sujets anciens, vieux de plusieurs centenaires, mais souvent présentés depuis, avec les mêmes lacunes, les mêmes insuffisances, les mêmes obstructions, le même cynisme, le même négationnisme, le même révisionnisme. L'acte de résistance auquel invite ce texte se donne alors comme moment dynamique visant à réfuter les faiblesses et les dévoiements élémentaires de toute recherche encore inhibée, gênée, voire hésitante, plus empirique que formelle, avalisant les simplifications les plus grotesques, les amalgames, les confusions souvent calculées autour d'une question aussi décisive que l'Esclavage et les deux Traites des Noirs transsaharienne et transaltantique, lesquelles révèlent soudain la manière petitement barbare des Actes humains à l'encontre des hommes eux-mêmes, dans des Etats tenus pour civils, démocratiques et planétarisés... C'est aussi inviter à reformuler les définitions, à redéfinir les principales questions qui en commandent l'économie générale autant que la compréhension préliminaire, car l'on peut indéfiniment falsifier la vérité en la soumettant au régime des affirmations erronées, indémontrables, avec des raccourcis impérieux. Dès lors on engage une recherche jurant avec des limites inacceptables, se maintenant toutefois par la force, il importe alors d'y résister, pour son déficit de documentation attestée, d'historiographie critique, de connaissances attestées, et plus encore pour sa pathétique méprise méthodologique.
En tant que les Traites comportent des monstruosités (crimes odieux commis pendant plusieurs siècles, déportation dans des camps de concentration nazis, programme d'extermination) il s'agit d'un évènement extrême, ne tolérant aucune concession heuristique, aucune falsification, mais un corps à corps permanent avec les faits, avec l'analyse critique, l'état de la recherche afin d'orchestrer un nouveau démantèlement des outrages de la Raison, à la manière de l'Ecole de Francfort. L'Heuristique des Traites est autant inconsolable qu'irrémissible, tant les contre-vérités et les superstitions des Traites appelle à une interrogation incessante, d'interminables corrections, d'incessantes rectifications, d'interminables réévaluations.
En effet, au sujet de l'événement de l' esclavage et de ses deux Traites négriéres, il est nécessaire et impératif, aujourd'hui que les savants et érudits africains et kémites du monde entier (sans proscrire les chercheurs universalistes acquis à la Maât, d'où qu'ils soient, laquelle veut que la science soit l'Affaire triangulée de la justice, de la vérité et de la mathématique) , choisissent de se pencher eux-mêmes sur cette question avec exigence, loin des passions, loin des pièges du manichéisme, du racialisme dogmatique, du psychologisme, en commençant par respecter trois impératifs méthodologiques.
1- Résister à la prépondérance et à la naturalisation des contre-vérités sur les deux Traites, au système dogmatique de ce pseudo-savoir, en réfutant toute tendance au révisionnisme, au négativisme, à la falsification intentionnelle, aux réductionnismes, au manichéisme plat, et par dessus tout, à l'absence de démonstration, de preuve, à l'affirmation démagogique, à la mauvaise foi. Dédogmatiser le massif de faussetés accumulées autour de ces récits hallucinants, et cependant considérés comme recevables, en dépit de leur caractère souvent non scientifique... Autant de choses que Cheikh Anta Diop a rappelée et mise en oeuvre dans son livre inaugural, Nations nègre et culture, ou comme René Descartes ruinant la science de son temps, il réfutait le paradigme racialiste, dogmatique et erroné sur l'Afrique, au nom de la vérité historique, en usant de la démonstration, l'argumentation attestée et la réfutation. Il reste que, et le fait est significatif, Diop n'a pas produit d'ouvrages spécifiques sur les Traites négriéres, sans doute est-ce parce que, en prenant le taureau par les cornes, en pointant d'abord le problème épistémologique de la méthode, de la rigueur de l'argumentation et de la justesse de la documentation au sujet de l' Histoire et des institutions anciennes de l'Afrique, de ce point de vue, il a ouvert la voie à toutes les autres recherches futures, pour qu'elles se conforment, à l'obligation minimale de rigueur, à la démonstration, au statut de la scientificité des énoncés. C' est pourquoi les diopiens peuvent continuer son entreprise heuristique, en s'appuyant sur le travail qu'il a engagé sur la dimension méthodologique qui seule garantit l'éclosion de la vérité. C' est donc ce que nous allons envisager ici, en diopien, nous arrêtant sur la cohérence interne de l'information scientifique, de l'argumentation, et en questionnant des discours à peu près muets sur le sujet qui nous préoccupe ; en priorité pour introduire avec méthode et gravité à la réflexion sur la question desTraites négriéres et de l'esclavage.
Mais de quoi s'agit-il ? Qui instruit la question ? Qu'en attend t-on, au terme de sa description ? les savants, philosophes, et politologues et juristes africains et Noirs du continent et de la Diaspora s'en sont-il réellement saisis en termes d'équipes scientifiques, de coordination des résultats, en finançant scrupuleusement les travaux ? Existe-t-il à ce jour un état exhaustif de la recherche sur cette question, produit par les Africains et les descendants de l'Afrique eux-même ? avec un regard internaliste, et nécessairement critique, autocritique, acquis à la neutralité axiologique dans l'analyse ? Avec des banques de données exigeantes, des analyses fiables, actualisées, recoupées, réévaluées ? avec des colloques annuels, des débats relayés par la philosophie, le droit, la politique, l'économie, le tout encadré par des méthodes fiables ? par exemple en posant avec pertinence le problème des dates, des chiffres, de la bibliographie autorisée, des méthodes fermes, des éléments quantitatifs au sujet des descriptions imputés, indépendamment des fausses querelles de chiffres, des polémiques oiseuses dans un phénomène qui a nié le statut d'homme aux Noirs. Il appert que nous sommes face à un immense chantier heuristique encore en gestation, lequel exige de mutualiser les moyens et les compétences des chercheurs et des Laboratoires pour produire un état de recherche exhaustif et actualisable. Il importe donc de circonscrire rigoureusement les recherches en garantissant le cadre méthodologique et la définition formelle des notions, des objets. Ici la méthode invoqué est la Déconstruction dans l'acception derridienne d'une opération de pensée qui ruine le point de vue unique, le paradigme de la science normal, investi comme la seule dominante, laquelle se reproduit invariablement, sans résoudre correctement ses problèmes, ses énigmes contre toute forme de réfutation, des connaissances accumulées mais fausses, ankylosées, ignorant tout de la différence, de l'altérité, de la variation différenciée du Même, c'est donc sur le mode de la déconstruction des vérités établies, enseignées depuis des âges sans être réfutées que j'engage cette introduction aux recherches sur l'Esclavage et les deux Traites négrières. J'entends donc déblayer l'horizon méthodologique, autant que celui épistémologique, qui vise l'évaluation de la valeur des connaissances dominantes. J'entends montrer que le savoir sur ces questions est obsolètes, et qu'il est cependant enseigné dans les Universités comme tel, quand bien même il est parfaitement irrecevable. Déconstruire ces pseudo-connaissances est l'objet de ce texte introductif .
2 - Résister, ici c'est de la sorte reprendre par soi-même - et par la suite, avec les Autres, en l'occurence ceux qui ont fini par se convaincre que cette question-là, bien qu'elle soit ciblée, emporte le destin général de l'humanité, celui de tout Homme, Résister, c'est dès lors reprendre la question dès le commencement, au lieu de sa déclinaison antérieure, pour la retourner autrement, la soumettre à l'épreuve de la vérité, de l'analyse logique, économique, juridique et politique, pour l'éclairer dans ses divers enjeux et ses multiples significations, pour la libérer du faisceau de préjugés qui l'entourent, la faussent, la confinent encore aujourd'hui à la polémique, au regain d'obscurantisme, au ressentiment, à la division racialiste, au mépris de l'Autre, avec des versions falsifiées, pour le moins pauvres, approximatives, des regards idéologiques, qui prolongent le fonds philosophique désastreux qui a vu naître la question, comme si celle-ci ne relevait pas déjà assez de l'Impensable, pour devoir encore la minimiser à l'extrême, et cela depuis des siècles, en en atermoyant les véritables interrogations, et en abrogeant les véritables décisions, les véritables enjeux cognitifs et politiques. Il s'agit donc de récupérer la question là où elle a été confisquée, là où elle a été noyée dans la confusion, reléguée à l'insignifiance. Mais il s'agit aussi de la regarder froidement dans la cruauté de son avènement, de son organisation, de son long déroulement oedipien - on le sait désormais, sans jamais l'avouer : il s'agit du plus long scandale de l'histoire humaine (VII siècle - XX siècle pour la Traite arabo-musulmane (650/652 -1920), et première moitié du XV siècle et première moitié du XIX siècle pour la Traite christiano-transatlantique (1450 - 1869). Reprendre la question pour elle même, pour ce qu'elle apprend à désapprendre nos certitudes les plus aveugles, nos croyances les plus ignorantes, en s'attardant sur l'économie générale de la bestialité qui la voit naître, sur la logique marchande qui la porte de part en part, l'habite et la circonscrit, avec son programme asservissant, hiérarchisant, co-fondateur entre autres du capitalisme, avec ses effets d'amplification, selon le prisme de l'extension du commerce odieux, son espèce de mise en forme de la mondialisation avant la lettre, sa volonté de se prolonger, de recommencer sans cesse, de perdurer, de s'éterniser jusques et y compris après la prescription des Abolitions (Pacte de Vienne), à moins que ce ne fût une stratégie de contre-résistance menée par les anti-abolitionnistes et leur grammaire des ruses d'Abolition sans cesse différées, atermoyées, la pratique étant toujours en violation des lois appelant à l'Abolition, ignorant impunément, superbement, le principe d'abolitionniste lui-même. l'Abolition était alors ce qui n'advenait jamais de manière ferme. On n'était jamais assez abolitionniste...
3 - Il y a une troisième façon de résister aux descriptions erronées des Traites négrières, autrement plus radicale, c'est en se débarassant des illusions, des erreurs de jugement, par exemple en pensant que les Etats africains actuels ou l' UA dans une Afrique tétanisée par des accords de coopération encore et toujours déséquilibrés et financés par des puissances extérieures, pourrait se saisir de ce dossier et le faire aboutir... c'est pour cela que cette question est en otage dans les Etats africains postcoloniaux, qui sont eux-même les produits de la Colonie, et de la Traite. Ou même le fait encore plus saugrenu de penser que ce sont les Etats Européens, américains ou arabes qui vont apporter des solutions a ces problèmes lors même que celles-ci les condamneraient à de lourdes réparations financières. Ou même le fait de ne pas se douter de l'importance de la Diaspora en Exil à qui il échoie pour une large part la responsabilité Historique de coordonner ces études, en recourant à des chercheurs, universitaires, experts compétents, à des syndicalistes et à des combattants de la liberté documentés. L'un des enjeux de cette forme de résistance est de lire et d'écrire avec précision , rigueur, et quelque distance critique l'Histoire, la science et la philosophie.
II - REFUTER 25 IDEES FAUSSES SUR LES DEUX TRAITES ET L'ESCLAVAGE DES NOIRS