Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les ECHOS du CIREF
19 février 2015

Controverse autour de deux articles : Le refus du statu quo - Docteur Yves Kounougous - Paris (France)

 

 Deux articles récents, l'un écrit dans le journal  " Le Monde " du 28/12/2014 sous la plume de l' américaniste Sylvie Laurent et intitulé  " l'Amérique post-raciale n'était qu'une illusion " ; L'autre, rédigé par l'universitaire américain Desmond King dans " le monde diplomatique " du mois de Janvier 2015 : " Pour les Afro-Américains, amère bilan d'une présidence noire : les violences policières dissipent le mythe d'une société post-raciale aux Etats-Unis " ; auquel on peut ajouter le rapport publié par L'ONG américaine Equal Justice Initiative : " Etats-Unis : près de 4000 Noirs lynchés dans le Sud entre 1877 et 1950 " ; Statistiques présentées par le journal  " Jeune Afrique " en date du 12/O2/2015 : " cette étude met en lumière l'héritage des violences raciales dans ce pays. Cette période de lynchages publics a crée une présomption de culpabilité et une présomption de dangerosité envers les Afro-Américains, ces lynchages ont eu un impact très important sur les relations entre les communautés en Amérique et ont façonné les conditions de vie géographiques, politiques, sociales, et économiques des Noirs américains qui reste très claire aujourd'hui. " ont ravivé l'un des vieux démons de l'Amérique (le racisme au travers des brutalités policières) et tenté de remettre en question le désir d'avénement d'une société post-raciale pronée et préconisée par le Président Barack Obama et bien avant lui le maître penseur de la philosophie Afro-Américaine : William Burghardt Du Bois. S'il découle et ressort des propos tenus par Sylvie Laurent et Desmond King une juste appréciation des choses et de la situation, il n'en demeure pas moins vrai qu'une lecture transversale du premier article révèle une profonde méconnaissance de la société américaine en général, et Afro-Américaine en particulier, tandis que le second cache en réalité une  " attaque masquée " qui vise à ternir, voire déstabiliser l'image et le symbole que représente pour la population la présidence américaine de  Barack Obama.  D'entrée de jeu, sa vision du problème racial se trouve tracée, exprimée dans son discours tenu à Philadelphie (2008) où il préconise pour les uns : " Les Afro-Américains doivent fondre leurs revendications dans les aspirations plus larges de tous les américains " ; pour les autres :  " Les Blancs doivent plus prendre en compte l'héritage de la ségrégation et ses persistances moins manifestes que par le passé mais néanmoins réelles ". Cette société américaine, que nous avons tenté d'explorer et, où nous nous sommes immergés durant un assez long séjour, sans être arrivé à la comprendre entièrement et/ou globalement, au regard de bon nombres d'interrogations, de questionnements, restés en suspens, contrairement, à l'inverse de nos deux auteurs (Sylvie Laurent et Desmond King) aux conclusions hatives et bien tranchées. 

  En effet, le premier constat auquel on se doit d'être confronté, la premiere question de bon sens qui suscite la réflexion, est de savoir si à l'aube du XXI siècle, on est encore en droit de penser que la société américaine reste figée autour de deux pôles (Blancs et Noirs) et qu'elle se compose de deux entités antagoniques (Monde noir et Monde Blanc) ?  Dans quelle mesure cette vision n'est-elle pas obsolète ?

 Ce qui transparait, se laisse lire et deviner dans les propos de l'universitaire Sylvie Laurent n'est malheureusement qu'une inexactitude, une contre-vérité historique car  " l'histoire du peuplement du continent nord-américain est indissociable de celle de l'immigration " ; En effet, la société américaine, véritable melting pot, est habitée par plusieurs communautés (Les Indiens d'Amérique  ou Amérindiens, premiers habitants avant la colonisation européenne : Wabanuwok, Inuit, Alaoute ;  Les Latinos, qui occupent un poids économique, politique,démographique croissant dans la société américaine : Wet backs ou Mexicains, Cubains, Portoricains qui sont avant tout citoyen américain ; Les Asiatiques : Coréens, Philippins, Vietnamiens ; La communauté blanche non hispanique, essentiellement une immigration européenne : Anglo-saxonne ou germanique (WHASP)  qui connait une baisse ; Les Noirs (Afro-Américains) jusque là majoritaire, dont le taux de population ne fait que décroitre ) qui en fait un paysage multiethnique, où cohabitent tant bien que mal toutes les communautés ;  que la communauté Afro-Américaine soit stigmatisée, mise à l'index plus qu'une autre communauté, me paraît excessif à dire et à penser, même s'il est vrai, selon les propos de Guillaume Courty et Thierry Ramadier : " que l'idéologie dominante s'appuie sur des notions si communément admises qu'elles finissent par se dispenser de toute mise en perspectives " ; A défaut, sinon, ce serait méconnaitre, ignorer, oublier  a) la tragédie endurée par les Indiens d'Amérique qu'évoque Michel Picquemal dans sa préface du livre : " Paroles Indiennes" : " Ces hommes (qui ne batissaient ni pyramides, ni cathédrales) avaient trouvé leur juste place dans le Cosmos, au sein de la nature qu'ils respectaient et adoraient. Ils ne cherchaient pas à  accumuler richesse et bien-être mais à se forger une âme forte en harmonie avec le monde. Savoir s'intégrer respectueusement à l'univers des forêts ou des plaines, savoir reconnaitre l'étincelle du sacré dans chaque parcelle de vie, voila l'essentiel de leur philosophie. Quant on sait la cupidité qui animait les conquérants venus d'Europe, on comprend que le dialogue était impossible entre deux manières aussi opposées d'envisager l'existence. Cependant, face à  l'avancée impitoyable des colons, les Indiens d'Amérique ont sans cesse recherché un consensus qui leur permettrait de continuer à vivre en paix selon leur antique manière, mais pour l'homme blanc, il n'y avait pas de consensus possible en dehors de la déportation et de l'extermination  "  b) Le drame vécu au quotidien par les Mexicains qui périssent noyés dans le Rio Grande, et/ou déshydratés dans le désert aride (désert de Sonora - Californie) en voulant atteindre l'Eldorado, ceux qui y parviennent constituent une main d'oeuvre malléable, sans papier, sans qualification, à la merci et confrontés à la surexploitation d'employeurs sans vergogne   c) Les secousses qui minent et traversent la communauté asiatique, qui fait peu parler d'elle, car vivant en vase clos.

  Il y a lieu de ne point nier le constat selon lequel les Afro-Américains deviennent minoritaires (12% de la population totale américaine) par rapport à d'autres communautés, et que  son moyen de prédilection pour s'exprimer est la résistance, qui peut aller jusqu'à la violence, ceci révèle plus une volonté de régler un contentieux avec l'histoire (le problème de l'esclavage) par quelques moyens que ce soit qu'un désir de voir l'institution judiciaire s'ébranler, car comme nous l'avons si bien souligné, ce racisme d'Etat dénonçé par les auteurs des articles (Sylvie Laurent et Desmond King) touche aussi bien les autres communautés, même si cela est  dans une moindre mesure (par exemple les Amérindiens ne sont plus que 0,9% en 2000 de la population américaine, parqués dans des réserves indiennes (Indian Reservation), condamnés silencieusement à mourir en s'abrutissant par un usage excessif de drogues et d'alcools, en dépit de  " l'Indian Appropriation Act " et du  " Termination Act " qui fait d'eux des  " Natives Americans " ayant les mêmes droits et devoirs que n'importe quel américain.) 

  Evoquer (Sylvie Laurent ) les brutalités policières dont sont victimes les Afro-Américains (Mike Brown à Fergusson, Eric Garner à Staten Island, Tamir Rice à Cleveland, Dontre Hamilton à Milwaukee, John Crawford III dans l'Ohio) comme preuve d'un racisme d'Etat institutionnalisé ( " La criminalisation des Afro-Américains depuis plus de quarante ans participe d'un processus séculaire de relégation des Noirs aux marges du contrat social américain. Depuis que les premiers esclaves se sont soulevés contre leur oppresseur en brisant leurs chaines, l'image de l'homme noir a été façonnée pour justifier sa neutralisation par la coercition publique. Pour le dire simplement, les policiers blancs américains, dont le comportement est dénonçé jusqu'aux Nations Unies pour leur discrimination raciale évidente, sont formatés mais aussi formés pour penser que tout Noir est un voyou qui menace l'ordre public. Il ne s'agit pas du racisme individuel de tel ou tel mais d'un prédicat culturel autour duquel fonctionnent les institutions pénales, judiciaires, carcérales, politiques, culturelles et sociales du pays. " ; C'est méconnaitre l'essence répressive de l'appareil sécuritaire d'un Etat, car partout dans le monde, l'Etat a le monopole de la violence légitime et celle-ci s'exprime à travers l'armée et la police qui sont ses instruments de répression, et l'on peut affirmer que quelle que soit la latitude où l'on puisse se trouver (Asie, Afrique, Amérique, Europe, Océanie) , les brutalités policières ne sont  certes pas comparables mais les méthodes sont équivalentes.   

  Interpeller de manière aussi inélégante, les actions du Président Barack Obama, pour les contrecarrer, me semble contre-productif, ainsi pour Sylvie Laurent : " L'Amérique est aujourd'hui un pays où règne plus que  jamais une ségrégation, dans lequel Blancs et Noirs ne se croisent plus, ni dans les banlieues pavillonnaires, ni  dans les écoles, ni dans les lieux publics qu'ils fréquentent. L'entre-soi racial a pris une telle proportion que l'ignorance (certes renforcée par la paresse) des conditions de vie des  " autres Américains " est une menace réelle pour une nation déjà minée par la sécession des hyper-riches. Enfin, il est un autre ingrédient qui participe à la mayonnaise rance de ces derniers mois : la re-sémantisation pernicieuse de l'adjectif  " post-racial ". Initialement, l'idée d'une " Amérique post-raciale " a été l'argument d'une jeune génération exaltée par la candidature de Barack Obama, qui voulut ainsi affirmer avec force qu'elle refusait de se penser et de penser le monde avec la grammaire raciale qui avait si longtemps entravé la marche de leur pays vers le progrès (...) Barack Obama est en partie responsable de l'altération malveillante du slogan. " ou pour Desmond King : " Michael Tasler a démontré que l'opinion des américains est déterminé par leur perception de M. Obama elle-même façonnée par sa couleur de peau, ainsi affirme le politiste, Obama a contribué à donner une connotation raciale à des sujets qui en étaient jusque là dépourvus (...) l'égalité de droits entre les citoyens établie dans les années 1960 puis l'émergence d'une classe moyenne  noire et l'élection d'un président afro-américain n'y ont rien changé : les Etats-Unis demeurent traversés par des clivages raciaux, tous les indicateurs le confirment : les saisies immobilières dues aux crédits (subprime) ; Le chômage des Noirs et des Hispaniques ; Le revenu moyen ; la ségrégation résidentielle. " ; Au regard de ces écrits forts tendancieux, Nous  tenons à déclarer et à affirmer, haut et fort, que le Président Barack Obama a mené jusqu 'ici une politique audacieuse, il peut endosser une grande part de responsabilités mais pas toutes les responsabilités ; Dans sa propre communauté très peu d'intellectuels le contestent, hormis Frederick Harris - Directeur du Center  of African-American Politic and Society - qui estime que lorsque Barack Obama fait deux pas en avant il fait aussi un pas en arrière, sauf une véritable avançée qu'il a initié en matière pénale  ; et Pavis Smiley qui le compare à un trophée vide (Hollow Prize). La société post-raciale est ce à quoi aspire une partie de la population américaine, comme solution possible au problème racial, pour mettre définitivement fin, clôre le débat racial ; il s'agit d'une idée qui fait son chemin, et comme telle, elle est à prendre.

  Pour conclure, il est vrai que sous d'autres cieux le racisme diffus n'a pas le même relief mais son ressenti est  tout aussi vivace, oeuvrons à populariser l'image d'une Amérique où les rêves d'enfant se réalisent, tel celui de la première astronaute femme afro-américaine Carol Jemison (née en 1956) ou de celui du Président Barack Obama qui déclarera à ce sujet : " il n'y a qu'aux Etats-Unis que cela est possible " ; pour considérer que la société américaine vit  la cohabitation de façon harmonieuse mais déséquilibrée, que son souhait de voir émerger une société post-raciale est encore une idée en gestation dont le processus est irréversible ... Wait and See            

Publicité
Publicité
Commentaires
Les ECHOS du CIREF
Publicité
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 8 126
Publicité