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Les ECHOS du CIREF
27 mai 2014

REFLEXION(S) SUR LE DROIT PUBLIC EN AFRIQUE : SEMINAIRE D'ETE DU CIREF - INTERVENANT - DOCTEUR YVES KOUNOUGOUS - PHILOSOPHE

 

 I/ Le Droit public en Afrique se doit d'opérer une véritable mutation

    A) De l'Etat craint à l'Etat respecté

        L'ensemble des approches juridiques occidentales consacre la conception selon laquelle " UBI SOCIETAS, UBI JUS " , que ce soit sous l'angle de vue du Professeur Alliot : " l'Occident et particulièrement l'Europe occidentale tient le Droit pour un ensemble cohérent et rationnel de règles édictées à priori par les pouvoirs publics ou tout au moins au respect desquelles ils peuvent contraindre les individus " ; La vision du Professeur Weill : " l'homme est obligé de vivre en société et ne peut vivre qu'en société. Par définition, l'homme en tant que membre de la société est impliqué dans des rapports sociaux. Ces rapports ne peuvent être livrés à l'arbitraire, ainsi la vie des individus suppose nécessairement l'existence de règles de conduite auxquelles ils se soumettent. La règle de droit se présente comme une règle de conduite humaine que la société fera observer au besoin par la contrainte." ; La " perception idéologique" du Professeur Eisenman :  " Les juristes croient en général que les classifications leur seraient données au départ, qu'elles seraient pré-établies, avec les qualifications et les classements, corrélatif ou tout au moins avec une partie importante d'entre eux. Cela, naturellement par et dans le Droit positif lui même, par et dans ses matériaux." Il découle de cette constatation que le droit public, légal bien qu'inégalitaire, dont le but est de servir l'intérêt général, s'incarne le plus expréssement dans l'Etat et sa norme suprême qu'est la Constitution ; Il ne saurait en être autrement en Afrique où l'Etat est une émanation et une définition de la colonisation. Il est significatif, dès lors, de constater, bon nombre de glissements, hautement préjudiciables, à la  " RES PUBLICA " :

  a) Que penser, sinon qu'il s'agit, au moins d'entorses à la vie constitutionnelle, au plus d'une atteinte au principe de continuité de l'Etat et de ses institutions, lorsque des crises constitutionnelles, aux conséquences plus ou moins graves, secouent et apparaîssent au sein des Etats, au point de dénaturer l'essence même du droit public, incarnation de l'intérêt général ; Il en est ainsi de la notion de  " vide juridique " , qui est une ineptie en soi, née et liée aux divers évènements politiques qui ont jalonné, suite au conflit d'interprétation d'un article de la constitution, la sphère étatique du Congo-Brazzaville, et l'histoire de se répéter (faut-il ou non modifier la constitution de 1992 ?) et dans un passé assez récent, la République de Côte-d'ivoire, sans oublier le Burkina-faso et la République démocratique du Congo.

  b) Que dire face à la négation intolérable du peuple minoritaire dit  " Bushman " en Namibie, sinon qu'il porte atteinte à l'une des facettes du droit international humanitaire.

  c) Comment prétendre à une certaine respectabilité internationale lorsqu'est  " De Facto " admise l'existence, sur le continent africain, d'Etat  "virtuel ", non reconnue par la communauté internationale, et qui par ce fait, vide de son sens et de son contenu la notion d'Etat (Somaliland).

  d) Quelques auteurs (Pierre Tavares), à juste titre, ont relevé : 1) La dénaturation de la sphère publique africaine (amalgame entre le droit public et le droit privé en raison de la pression des multinationales) 2) La  délitation de l'Etat (la Constitution serait désormais déterminée par le droit public international, c'est-à-dire la qualité de la relation avec les autres Etats) 3) L'accroissement de l'impuissance de l'autorité publique en Afrique (la chose publique ne serait plus gérée conformément aux règles universelles de l'administration publique mais selon les régles juridiques du droit privé (gestion pétrolière, ressources naturelles)

  Sur quel paradigme, dès lors, reposerait l'image, le fait que l'on tende, sur un versant de l'hémisphére, vers plus de démocratie, de justice et de droit, alors que sur l'autre, l'on persisterait à s'accrocher à promouvoir la non-démocratie et ses incidences que sont la mauvaise gouvernance, l'absence d'alternance politique, la corruption, le refus de la liberté de la presse, de la liberté d'opinion, l'occultation des droits de l'homme, nobnostant la diversité de ses conceptions, la gabegie érigée en principe ? Ne doit-on pas au Président Barack Obama cette réflexion émise lors de l'un de ses discours prononçés sur le continent africain : " L'Afrique n'a pas besoin d'hommes forts mais d'institutions fortes ".

 Il ressort que cette dégénérescence du pays légal entraine inévitablement une négation du pays réel qui aboutit à une invitation à ne rien changer, ce qui, par voie de conséquence occasionne une inflation d'attitudes, de comportements, de raisonnements, déloyalement citoyens, qui en dernière instance, nuisent à l'instauration d'un Etat de droit, pour faire le lit d'une instance anti-providentielle, anti-sociale, anti-régulatrice : d'un Etat, pour tout dire, créateur d'inhibitions.

    B) Les Pistes à suivre

        Si l'idée d'un modèle républicain universel demeure valable, son application se révèlerait par contre difficilement réalisable, à la limite de l'absurde, au regard de l'hétérogénéité des sociétés, des populations et des cultures qui les composent. Il s'agirait, autant que possible, de puiser dans ce creuset juridique standard les normes, les éléments, les moins controversés et les plus adaptables à notre univers, solution qui présenterait un double avantage : a) celui de faire coïncider le discours juridique et sa pratique b) celui de pouvoir réconcilier le pays légal avec le pays réel.

        Nous pourrions, pêle mêle :

        1) souhaiter la création de Centres d'Information civique, qui comme son nom l'indique, serviraient à vulgariser le Droit, le langage juridique et les pratiques judiciaires, familiarisant ainsi le citoyen à l'univers juridique qui l'entoure, tout en favorisant son passage du statut de sujet passif à celui de citoyen actif, désormais mieux et plus informé.

        2) oeuvrer à l'accélération des mécanismes d'indemnisation des victimes, et développer ainsi les institutions de protection du citoyen, ce qui leur permettrait de mieux appréhender, de mieux cerner la notion de  " principe d'équité "

        3) faciliter l'accès au droit pour le justiciable en modernisant ses techniques d'accès (internet) et en multipliant les voies de recours.

        4) moraliser l'ensemble des professions judiciaires et extra-judiciaires par l'adoption d'une charte d'ordre éthique, plus en conformité avec les aspirations des populations que reflétant les intérêts d'une classe.

        5) consolider l'Etat de droit en démultipliant la fonction de médiateur, tout en lui garantissant un authentique pouvoir de décision, un véritable droit à la parole et à la représentation au sein de son instance de tutelle.

 

 II/ Mais surtout procéder à la libéralisation des imaginaires

    A) De l'usage des droits traditionnels non étatiques

       Cette nouvelle impulsion tendant à faire naître de nouvelles utopies sociales ; à faire éclore bon nombre de dimensions économiques et culturelles inavouées ; à raviver l'espace politique et l'univers juridique ; permettrait de dégager tant pour le juriste occidental que celui africain, d'authentiques et véritables perspectives juridiques, ainsi résumées par le philosophe du droit Dominique Manaï : " La problématique de l'acculturation juridique ouvre un champ immense pour la réflexion juridique, elle amène le juriste à rompre avec cet évolutionnisme diffus, qui se situe dans les sillages d'un Lévy-Bruhl, qui hièrarchise les systèmes juridiques en prenant, bien entendu, le système juridique occidental comme paramètre d'appréciation et comme critére d'évaluation, elle amène le juriste à rompre avec cet européocentrisme juridique diffus mais dominant qui ne relativise pas le système juridique occidental en lui conférant des caractéristiques d'universalité et en le présentant non comme un produit culturel, c'est-à-dire spécifique à un temps et à un espace, mais comme un phénomène naturel, devant s'imposer à l'humanité entière. Elle amène enfin le juriste à faire éclater le cocon du juridisme sécurisant et à s'interroger sur le phénomène juridique en tant que dispositif de pouvoir, et ce, aussi bien à l'intérieur de l'espace social d'où il émerge - en Occident - qu'à l'extérieur, dans cet espace social où il est adopté. " ou encore  " Lorsque l'on prends pour universelles les catégories de l'esprit humain qui ne sont que le produit de choix culturels spécifiques, on sacrifie nécessairement au structuralisme en passant par l'école sociologique de Durkheim et de Mauss, induisant la généralisation des concepts particuliers de l'Occident "

     S'il est vrai que puisse exister une vie  " juridique "  en dehors de la sphère étatique, il n'en demeure pas moins probant que le fait de reconnaître et de démêler le droit du non droit constitue une difficulté, formulée de manière explicite par le Doyen Carbonnier : " Le dilemme n'est pas entre la loi et d'autres formes de droit : il est entre le droit et le non droit " . De facto, se trouve là validée la présence et l'existence de droits traditionnels non étatiques  " qui sont des systèmes juridiques issues de l'expérience pré-coloniale (...) droits originaires qui témoignent d'un état de société et d'une conception particulière (...) sensiblement différents des droits populaires ".

    L'absence d'une théorie des droits africains, rendue impossible par l'omniprésence des préjugés coloniaux, bien que véritable socle du droit traditionnel, n'en a pas moins permis de dégager des lignes de compréhension sociétale, où le but ultime était la recherche de l'unité, de la tranquillité et de l'équilibre social de la communauté, cette société égalitaire reflétait  " un vouloir être ensemble et un vouloir vivre ensemble " qui était la traduction d'une réalité et de logiques spécifiquement africaines : une communauté de vie reposant sur des croyances, des traditions, des mythes similaires, à savoir : des interdits communs (règlementation de l'utilisation de l'espace plus que des droits de propriété) ; une résidence commune ; des coutumes funéraires identiques qui vénèrent le culte des ancêtres ; l'importance du matriarcat - Favorisant ainsi une approche de ces sociétés  " juridiques " pré-coloniales, c'est ainsi que, dès lors qu'est constaté un déséquilibre, une menace sociale, l'objectif a atteindre devient fondamentalement le rétablissement de l'ordre cosmique et temporel, par l'application de la source du droit traditionnel : la Coutume " constituée d'une série d'autres semblables conduisant à l'émergence d'un modèle de comportement social qui reçoit le nom d'accoutumance, d'habitude ou de tradition ".

   Ces sociétés  " égalitaires " avaient élaboré et entretenaient des rapports  " juridiques " qui méconnaissaient la distinction Public/Privé  " le sujet de droit n'est pas l'individu mais le groupe, expression de la volonté collective du groupe ". La justice  est rendue, sous l'égide et avec l'omniprésence du prêtre de la pluie ou de la terre (le sorcier qui conciliera les esprits et procédera aux rituels de purification) ; Au travers de la conciliation " qui vise à rétablir l'ordre à un moment troublé par un manquement grave (adultère, l'homicide : le meurtre et l'assassinat sont punis de mort violente, cependant la coutume admet une compensation traditionnelle : douze vaches) ; De l'Arbitrage, qui apparaît en cas d'échec de la conciliation ; Par les détenteurs des valeurs de la société, cette assemblée de notables où prédomine l'autorité du patriarche, et ou se cotoîent le chef de famille (application de la coutume patriarcale ou matriarcale), le chef de clan, le chef local, le chef de la communauté, le chef de terre (litiges relatifs aux domaines fonciers : bornages.), le chef traditionnel ; Tous investis, même pendant la période coloniale, de l'autorictas. Tout un chacun s'évertuant à 1) rechercher l'équité plus que l'application du droit 2) dégager un nouvel équilibre social

 B) Perspectives d'avenir pour redynamiser la discipline

      La connaissance de ce passé africain, de son droit coutumier, ne saurait être regardé, comme  " un miroir aux alouettes " , à défaut de quoi, comme le souligne le juriste Benoit N'gom : " cette articulation de la pensée autour de valeurs réputées immuables est discutable. il n'y a pas de valeur qui ne subisse l'érosion du temps. toute pratique est historiquement datée et géographiquement localisée, en tant qu'elle constitue une tentative de réponse à un problème qui a pu se poser à l'humanité. Vouloir figer l'évolution des sociétés au nom de la tradition participe beaucoup plus d'une entreprise de mystification que d'un désir profond de conserver des valeurs nécessaires à la survie et à la cohésion du groupe. Ceux qui pensent qu'il faut tout conserver des valeurs ancestrales devraient, s'ils étaient logiques, procéder à une régression à l'infini. Ce voyage dans le passé leur ferait certainement découvrir que l'humanité a partagé des valeurs communes, que ses différentes branches ont progressivement été modifiées ou abandonnées, pour ne garder que les plus essentielles qui caractérisent aujourd'hui les sociétés humaines quelle que soit la latitude où vivent les unes et les autres. "

  il n'empêche qu'il devient impératif d'amorcer de nouvelles démarches, de s'investir dans de nouvelles orientations :

   1) En matière de vie publique, en (re)plaçant la  "RES PUBLICA " au dessus de tout, par la nomination d'autorité(s) morale(s) incontestable(s) pour assurer et garantir le respect de la chose publique.

    2) En matière de vie politique et de son corollaire l'action politique, le procédé dit de Contrôle Citoyen de l'Action Publique (CCAP), visant à promouvoir la responsabilité en politique et l'obligation pour les acteurs publics de rendre compte, initié par M. Luc Gnacadja, ancien ministre et candidat à l'élection présidentielle de 2006 au Bénin, nous semble une piste intéressante ; De même faudrait -il consolider la promotion de la bonne gouvernance en soumettant les professions de foi de chaque candidat à une élection pour un poste politique (Maire, Député, Président etc...) au verdict populaire, en plus de la censure des urnes, ce qui entrainerait en cas de transgression de celle-ci, au banissement social pour son auteur.

    3) Dans le domaine du droit constitutionnel, pour assainir et aseptiser l'univers politique, l'on devrait  a) introduire une loi qui stipulerait que tout candidat à l'élection présidentielle ne saurait provenir du sérail gouvernemental (Ministre, Ancien ministre, ou collaborateur dans un cabinet) b) instaurer des procédures.

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