SOS pour les enfants de Syrie - Journal du dimanche - 8 juin 2014 - Professeur Alain Deloche - Chirurgien cardiaque
C'est un malheur sans fin qui me rappelle les pires heures du siège de Sarajevo, Après avoir cofondé Médecins sans frontières et Médecins du monde, j'ai eu l'idée de bâtir la Chaîne de l'espoir pour opérer les enfants déshérités du monde entier en mettant nos savoirs et nos techniques au service des plus démunis. De l'ex-yougoslavie au Cambodge, de l'Afghanistan au Mali, de la Corée du Nord à la Centrafrique, nous avons offert une chance à ces victimes de la misère et de la guerre. Il nous faut aujourd'hui redoubler d'efforts et mobiliser nos donateurs, car ce que nos équipes découvrent aux portes de la Syrie est terrible. Au Liban, en Jordanie, des petits réfugiés syriens semblent sortis tout droit de l'enfer. Le premier d'une liste de près de 90 jeunes opérés s'appelle Khaled, bras et jambes arrachés par un bombardement dans la ville d'Al-Herak. Malgré d'innombrables embûches administratives et grâce à un réseau d'âmes belles et courageuses, ce gamin de 7 ans enfermé dans une bulle de souffrance a pu être pris en charge. A son arrivée dans sa famille d'accueil franco-syrienne à Paris, Khaled allait se cacher dès qu'il entendait passer un avion. Quelques jours après sa sortie de la clinique il parvenait à marcher avec sa nouvelle prothèse et retrouvait le sourire. A l'hôtel Dieu de France, à Beyrouth, une enclave française tenue par des jésuites, j'ai moi-même, au début de cette année, opéré, avec un chirurgien libanais de renom, la petite Leila. Cette syrienne agée de 4 ans vit certes toujours avec 17 autres réfugiés de sa famille sans moyens ni papiers, entassés dans une seule pièce, mais nous l'avons guérie de la malformation cardiaque congénitale qui lui donnait les lèvres bleues. A la création de la Chaine de l'espoir, l'essentiel des interventions se déroulait en France. Aujourd'hui, le projet initial approche de son aboutissement ; les petits malades sont en général pris en charge au plus près de chez eux par des équipes mixtes. A Amman, nous collaborons avec des médecins jordaniens. Un jour viendra où ces enfants seront soignés dans leur pays, dans les hôpitaux de leur pays, par des médecins de leur pays. Mais ce jour n'est pas encore venu, alors nous devons continuer sans relâche à former nos confrères du bout du monde et à les aider à bâtir des établissements hospitaliers. Il y a des jours où l'envie de baisser les bras devant l'injustice du monde pointe son nez. Qu'est-ce qu'une petite goutte de générosité dans un océan de douleur ? Ces jours-là, je me console en pensant à toute la sagesse acquise en Asie. Aucune goutte à la mer n'est vaine. " En faisant cela, tu sèmes dans l'univers " m'a souvent dit le père Ceyrac, célèbre missionnaire en Inde décédé dans ce pays il y a deux ans. Dans La Peste, de Camus, le Dr Rieux a cette phrase qui me porte les jours de blues : devant l'absurde, il nous faut " bien faire son métier ".