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Les ECHOS du CIREF
4 décembre 2015

COMMENT PENSER UN MONDE NOUVEAU AVEC LOUIS ALTHUSSER ? Professeur émérite André Tosel - Philosophe - Nice (France)

 

   l'époque de la crise d'hégémonie du capitalisme mondialisé a déjà fait revenir le spectre de Marx, comme Jacques Derrida avait eu le courage de le réaliser en ces années (1993), où le néocapitalisme triomphait et faisait passer la destruction sociale dans les pays dits avancés et la néocolonisation du monde pour l'expression de la raison néolibérale. L'ampleur de la crise inédite que traverse notre civilisation conduit la pensée à rechercher en ces philosophes militants vaincus non la solution immédiate à sa violence extrême, mais des armes intellectuelles pour la comprendre en syntonie  avec d'autres théories critiques ignorées du cirque médiatique et de la scolastique universitaire.  Certes, ce retour se fait dans le double deuil des formes de l'expérience prises par les mouvements antisystèmes, prioritairement le deuil du mouvement ouvrier, le seul qui ait existé durablement dans la modernité en toutes ses variantes. C'est maintenant que le temps est hors de ses gonds que l'oeuvre théoriquement énorme de Louis Althusser peut sortir du silence total qui l'a incarcérée dans les années 1980-1990, être sollicitée pour aider à ouvrir une nouvelle perspective et fournir des éléments indispensables pour la nouvelle critique des temps que toute pensée de l'émancipation exige. Althusser, en philosophe autocritique de la philosophie a voulu donner au matérialisme historique la  " forme de la scientificité " par laquelle la théorie du mode de production capitaliste, objet du Capital, ouvre la science du continent Histoire, en explicite la structure conceptuelle, la dynamique interne, les lois de tendance et la transformation possible en un autre mode de production. L'apport de  " Pour Marx " et de  " Lire le Capital ", avec le recul, apparaît comme faisant époque. Malgré l'énorme littérature que ces oeuvres ont su provoquer, elles n'ont pas épuisé leur fécondité : l'histoire, la discipline savoir, des accomplissements passés de l'action humaine, avec ses articulations de pratiques, entrait bien dans une élaboration structurale par le porche de la critique de l'historicisme et de l'humanisme. Mais, en même temps, et contrairement à ce que soutenait une critique hâtive fondée sur le primat donné à la praxis volontaire des humains, l'histoire se faisant n'était pas éliminée. La théorie des structures qui éliminait le sujet transcendantal ou psychologique se combinait avec le savoir opératoire et singulier des conjonctures dans la conjoncture, c'est -à-dire l'analyse concrète des situations concrètes chères à Lénine, où se livre la lutte de classes, où celles-ci se forment et se transforment en instances de dominance et de direction ou de soumission et de subalternité. La refonte de la théorie des contradictions en termes de catégorie de la surdétermination anti-économiste et anti-déterministe laisse place dans la dernière philosophie d' Althusser encore une fois à l'histoire, devenue l'histoire aléatoire que soutiennent des catégories antimétaphysiques, voire postmodernes. C'est ce que consigne le texte qui clôt le tome I des Ecrits philosophiques et politiques : il est placé dans une rubrique étrangement intitulée  " Althusser après Althusser " qui semble suggérer qu'Althusser a changé d'identité et s'est en quelque sorte survécu en une autre personne. Intitulé  " Le courant souterrain du matérialisme de la rencontre " , ce texte est un élément d'un dossier qui devait donner lieu à un ouvrage demeuré inachevé, intitulé  " l'Unique Tradition matérialiste " . Il faut tenter de reconstituer les moments de cette analyse de la situation concrète, de la conjoncture, dans le cadre du matérialisme de la rencontre, sans nous cacher ses errances, ses contradictions, ses apories, son style historiciste et son empirisme exploratoire. Cette analyse nous apprend à nous départir de toute lecture mystique et idéaliste du matérialisme althussérien. Elle montre qu'Althusser cherche à produire une théorie de la structure  de la conjoncture dans la conjoncture même qui est définie  comme celle de la persistance modifiée de la lutte des classes en son évanouissement même. Cette analyse n'est pas une explication théorique, mais une description alarmante de qui est à comprendre et qu'Althusser nomme  " mondialisation ", indiquant ainsi le lieu que toute théorie de l'histoire actuelle doit investir. Comment penser ce nouveau monde sans centre,  " cette stupéfiante conjoncture " ? Il n'est pas que la théorie marxiste qui se soit évanouie. Althusser évoque sans concession l'état de nullité, le vide de pensée qui caractérise la pensée contemporaine. La mondialisation est caractérisée, d'une manière suggestive, comme évènement d'un monde sans centre. Ce qui semble conduire à l'impuissance et à la disparition du désir de comprendre et d'agir peut devenir le sol sur lequel le noyé pose son pied pour remonter à la surface de la mer, non pour on ne sait quel avènement sous le soleil d'un rivage retrouvé, mais simplement pour continuer à exister sur les flots.  

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